• 18 juin, c'était son anniversaire aujourd'hui.

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  • La canicule de l'été 76, je n'en ai pas un souvenir particulier. Sans doute parce que je venais d'Afrique.
    Là, c'était septembre et j'avais froid.
    C'était ma première année scolaire en France et j'étais frileuse.
    Frileuse de tout. D'une timidité maladive, je n'osais pas aller vers les autres.
    Ces 6000 autres côtoyés dans les couloirs interminables du lycée, dans cette cour immense.
    Cette classe de terminale où tout le monde avait l'air de se connaître depuis longtemps. 35 élèves. Alors qu'en première A à Brazzaville, nous étions cinq...
    La première élève qui m'aborda gentiment, me présenta gentiment à ses gentils copains.
    J'étais reconnaissante mais je m'aperçus vite que nous n'avions pas grand chose en commun.
    Ils écoutaient Alain Chamfort et Mike Brand. Dur...
    J'avais bien repéré une bande au fond de la classe à gauche. Jean-Luc au look de poète, Marie-Pierre solaire, Patrick le plus rigolard de la classe, Dominique très brune et Marion diaphane, Pierre qui ne parlait qu'en onomatopées comme un dessin animé, Oriane qui venait d'une école Freinet et avait un aplomb merveilleux que j'enviais. Ces sept-là animaient la classe avec une gaieté communicative.
    Le chahut qu'ils faisaient n'était jamais agressif.
    Oriane et Marie-Pierre étaient les plus insolentes, mais elles étaient tellement brillantes et pertinentes que les profs n'osaient rien leur dire.
    Ces sept-là écoutaient les Stones et Bob Dylan. Je brûlais d'envie de leur parler mais je m'en sentais incapable.
    Le prof d'anglais me demanda un jour de traduire un texte devant tout le monde.
    Je ne sais plus de quoi parlait ce texte. Je sais seulement mon cœur battant, le supplice de parler devant un auditoire attentif, zut pourquoi ce silence d'un coup ? Je sais que je bêlais, tant ma voix tremblait. Jusqu'à ce que je bute sur le mot neger dans une phrase.
    Neger me ramenait à l'Afrique, à la négritude d'Aimé Césaire et de Léopold Sedar Senghor. Je me suis brusquement revue au Tchad en troisième, en cours de littérature africaine. Dans cette salle de classe à l'encadrement de porte sans porte, aux fenêtres sans vitres, avec de l'herbe qui poussait à nos pieds. De vieux pupitres au bois ridé de fissures multiples.
    Je me suis souvenue du prof M. Kherallah qui nous avait tant fait rire le jour où un gros lézard frôla le pied nu d'une élève. La fille avait poussé un cri et bondi sur sa chaise, nous autres avions levé haut les pieds par réflexe et le prof s'était catapulté debout sur son bureau. Il faut dire à sa décharge que ça aurait aussi bien pu être un serpent. Par terre on ne voyait pas bien, juste un mouvement, une froissure dans l'herbe. Vexé de l'hilarité déclenchée, il était redescendu, avait empoigné son livre et s'était mis à nous dicter son cours à toute vitesse. Chose qu'il faisait rarement. Passionné par sa matière, il parlait habituellement plus qu'il ne lisait. Et s'enflammait lorsqu'il s'agissait de Senghor. Sa poésie est très difficile, nous disait-il. Seul un Sénégalais peut réellement la comprendre.
    Et de nous parler de l'oeuvre du poète et de négritude. Cette négritude belle, revendiquée.
    Et cette phrase sublime qui m'avait bouleversée : Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.
    Ce vers-là, je le comprenais. Il était universel. Je me le répétais dans ma tête, comme enivrée de sa beauté et du message porté.
    Je visualisais ces vieux murs de France décrépits, ces affiches immenses, ces rires banania. J'imaginais Senghor tirant de grands lambeaux de rires et je me rêvais faire comme lui.
    Comment traduit-on neger en français ?
    Je n'étais plus à N'djamena dans cette classe aux murs éventrés en guise d'ouvertures, avec de l'herbe et des lézards.
    J'étais dans un lycée à 4 étages, dans une salle avec du lino par terre, des pupitres en métal graffités, de vraies fenêtres hautes et vitrées.
    Toute à mon rire banania, j'ai prononcé le mot nègre.
    Une voix a fusé derrière moi, du fond de la classe à gauche. Un mot : raciste.
    Je suis devenue toute rouge. La honte de ma vie. J'aurais voulu protester, expliquer, me justifier.
    Je me suis coltinée cette étiquette raciste toute l'année. Je me suis coltinée ma solitude.
    Jusqu'au mois de juin. Nous avions un emploi du temps plus souple avant les examens. Patrick avait apporté sa guitare. Il jouait du Cat Stevens assis sur le dossier d'un banc de la cour, les six autres chantaient avec lui.
    J'étais adossée à un arbre près d'eux (je n'étais jamais loin...).
    Je me suis mise à fredonner. Ils m'ont tous regardée comme s'ils me voyaient pour la première fois. Puis ce fut du Simon et Garfunkel, du Neil Young. Je faisais la deuxième voix.
    Ensuite, j'ai pris la guitare et nous avons continué à jouer et chanter, nous huit, les jours et l'été qui ont suivi.


    24 février 2015




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  • 18 h 30. Je piétine à l'arrêt de bus. J'attends le 4 ou le 7 pour rentrer chez moi.
    C'est le 7 qui arrive en premier. Il clignote bleu, c'est à ça que je le reconnais.
    Il faut dire que de loin je ne vois pas grand chose.
    Et l'œilliste, tu y penses ? Me dit toujours ma copine.
    Oui oui, ça fait partie des résolutions du premier de l'an 2013, ça fait 2 ans.
    J'ai bien des lunettes dont les verres seraient à changer mais je ne les porte qu'au cinéma en les tenant du bout de l'index parce qu'elle glissent sur mon nez trop court.
    Mon amie ajoute invariablement : Le jour où tu te mangeras les poteaux tu te décideras (si si, c'est ma copine).
    Je n'en suis pas là quand même, les poteaux je les vois. Ce sont les panneaux qui sont dessus que j'ai de plus en plus de mal à lire. Ou bien ceux des arrêts de bus par exemple. Pour ne pas louper la station où descendre, ça peut être utile, les lunettes.
    Pour l'instant je ne descends pas, je monte. En marchant sur la pointe d'un pied parce que j'ai mal à la chaussette gauche, disait mon fils quand il était petit.
    Il y a du monde à cette heure-ci, il me faudra attendre PN Gambetta avant de pouvoir m'asseoir à côté d'une dame qui engueule son téléphone. Tout chez elle est pointu. Sa voix, son nez, son menton, ses ongles. Même ses cils épaissis au mascara sont triangulaires. Elle a l'air de ricaner méchamment. Une histoire de clefs. Débrouille-toi, t'avais qu'à pas les oublier.
    Les deux sièges devant moi sont occupés par une jeune fille de 16 ou 18 ans et son petit frère.
    Elle a enroulé ses longs cheveux bruns autour d'un pic en bois sur le sommet de sa tête, quelques mèches frisottent sur sa nuque fine. Je vois son joli profil quand elle se tourne vers son frère.
    Elle pianote des deux pouces sur l'écran tactile de son portable, chaque touche qu'elle frôle s'allume rouge en faisant bip. Je la regarde faire dans la vitre et ça me fascine. Son frère la titille du coude et elle rit.
    Un jeune homme est monté dans le bus. Il a des chaussures rouges flambant neuves et le jean crevé aux deux genoux. Un rap grésille dans le casque qui lui couvre les oreilles. Deux femmes juste derrière moi parlent à plein volume.
    Mais alors attends, dit l'une, tu sais pas ce qu'il m'dit ? Alors moi j'attends, mais entre le moteur du bus qui redémarre, la gamine devant qui se chamaille bruyamment avec son frère et l'autre, là qui ne veut vraiment pas comprendre depuis tout à l'heure que Non non il n'est pas question que je fasse demi-tour bordel ça t'apprendra, je ne saurai pas ce qu'il a dit. Mais ça devait être drôle, à les entendre pouffer.
    C'est à ce moment-là que la jeune fille devant se redresse. Chuut, elle dit à son frère. T'entends ?
    Elle reste le doigt en l'air, la tête penchée.
    T'entends pas ? Ça fait Tac Tac Tac. Elle bouge son index en rythme. Au rythme de mon cœur, tiens.
    Elle se retourne vers nous. Z'entendez pas ?
    Ma voisine qui a fini par fermer le clapet en rabattant celui de son portable secoue la tête.
    Moi je suis un peu sourde, répond-elle.
    La jeune fille me regarde. Je ne dis rien, je tends l'oreille. Avec le brouhaha ambiant ce n'est pas possible qu'elle entende battre mon cœur.
    Ecoute, dit-elle à son frère, Tac Tac !
    Pas de doute, c'est mon tempo qu'elle bat.
    Et alors attends c'est pas fini, dit la femme derrière.
    La demoiselle s'est retournée d'un bloc vers moi. Elle me plante le regard khôl dans le mien et me fait un sourire éclatant.
    C'est vous ! Ce n'est pas une question, c'est une affirmation.
    Incroyable, une ouïe pareille.
          - Tu as oublié d'être sourde, toi !
          - Qu'est-ce que c'est ?
    Les deux gosses me mangent des yeux. Il me faut expliquer et répondre à l'avalanche de questions : opération du cœur, valve mécanique, non c'est pas une pile, oui ça fait toujours ce bruit, non les boules Quiès ça ne sert à rien et non on ne peut pas arrêter ça...
    Je descends sur la pointe d'un pied à l'arrêt suivant l'habituel parce que voilà je viens de louper le mien, mais cette fois ce n'est pas à cause de ma myopie.

    14 février 2015


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  • Les rares fois où j'ai vu pleurer ma mère - elle pleurait silencieusement, il n'y avait pas de sanglots dans ses pleurs -  j'en étais bouleversée.
    Un jour je l'avais ainsi surprise. Elle pleurait pour une raison qui me sera toujours inconnue. Elle m'avait alors souri à travers ses larmes, manière de me rassurer mais le mal était fait.
    Quand elle riait, pareil.
    Ma mère pleurait toujours lorsqu'elle riait.
    Or je ne pouvais – et ne peux toujours pas - regarder une personne pleurer sans craquer à mon tour. Automatique.
    De même que le pied shoote par réflexe lorsque l'on donne un coup de marteau sous la rotule, j'ai le cœur qui shoote dans ma poitrine à la vue des larmes d'autrui.
    Devant un fou rire aux larmes, je peux fou rire aussi et tout va bien.
    Mais avec elle, c'est (ce que je croyais être) sa tristesse qui était contagieuse.
    Si encore elle riait aux éclats, mais non. Elle riait sans faire de bruit, il n'y avait pas de hoquets dans son rire. On aurait dit qu'elle souriait sauf que ses yeux débordaient. D'où ma confusion.
    Je m'alarmais instantanément.
    Des moments comme ça, pendant lesquels nous n'étions pas en phase du tout...
    Son hilarité déclenchait chez moi un incoercible chagrin.
    A chaque fois il fallait qu'elle m'explique Mais non, je ris !
    Je ne m'y habituais pas. Plus elle riait aux larmes plus je fondais de même. Un manque total d'humour.



    19 décembre 2014

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  • C'était le 25 décembre et j'attendais la neige.
    Mon père avait dit qu'il allait neiger, il m'avait montré le ciel.
            - Tu vois, c'est un ciel de neige, ça. Il va neiger.
    Il avait répété plusieurs fois en agitant l'index : c'est un ciel de neige.
    J'étais surprise parce que le ciel était gris, presque blanc. J'avais 6 ou 7 ans ou 8 ?
    Je n'avais encore jamais vu la neige mais dans la période de Noël je la dessinais.
    Je dessinais des bonshommes de neige et je peignais toujours un ciel très bleu avec des mouchetis de blanc pour les flocons.
    Outre l'excitation de la fête et des cadeaux, je brûlais d'impatience de la voir enfin tomber.
    Le Père-Noël,  ça faisait un mois que je n'y croyais plus.
    Je l'avais appris à l'école, de la bouche de ma copine Muriel qui elle-même l'avait appris de la bouche de son cousin qui était un grand de 12 ans. J'avais ce jour-là clamé au cours du déjeuner que le Père-Noël n'existait pas. Mon frère m'avait instantanément donné un coup de pied sous la table pendant que mes parents échangeaient un regard consterné.
    J'avais alors - oups - fait marche arrière en bredouillant mais bien sûr que si il existe.
    J'avais joué le jeu pour ne pas peiner mes parents. Et j'avais écrit ma lettre au Père-Noël.

    Cher Papa-Noël
    Je voudrais s'il te plaît :

    La peluche jaune que on ne sait pas si c'est un chien ou un agneau

                 ou (souligné)

    Le livre-disque de Bambi parce que maintenant j'ai un mange-disque

                ou

    La poupée qui parle

               ou

    Les cow-boys ou les indiens mais je préfèrerais les indiens


    Je ne me souviens plus si c'est cette année-là que nous avons eu un vrai sapin.
    Un vrai de vrai, qui sent la forêt, avec des aiguilles qui piquent.
    Il était très grand, très haut, il allait jusqu'au plafond (dans mon souvenir).
    On l'avait gardé avec ses boules et ses guirlandes jusqu'à Pâques.
    A Pâques on s'était résolu à le défaire parce qu'il était devenu jaune et squelettique et il fallait tout le temps balayer par terre.
    Je ne sais plus si c'était l'année du vrai sapin mais Noël est immanquablement lié à son souvenir.
    J'ai une mémoire très olfactive aussi : l'odeur des mandarines et celle des bougies que l'on vient d'éteindre.
    Je l'avais eue, ma peluche jaune (j'avais décidé que c'était un chien finalement).
    J'ai joué aux indiens et j'ai écouté/lu l'histoire de Bambi en attendant la neige mais il n'a pas neigé, ce jour-là.
    Le mange-disque c'est le père-noël qui me l'avait offert quelques jours plus tôt.
    Un vrai monsieur qui suait dans sa barbe de coton et son costume rouge, lors de la fête organisée pour les enfants du personnel de Transgabon.*

     



    * Transgabon est devenue Air Gabon en 1977


    15 décembre 2014

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