• Y a pas de quoi en faire une maladie

    C'est à l'odieuse gentillesse des radiologues que j'ai su le verdict.
    Même pas surprise. Le pré-senti.
    L'évidence.

    L'évidence me donnait un sourire larmoyant.
     
    Je ne supporte pas l'agressivité de tous ces talons aiguilles
    sur le dallage de la salle d'attente.
    Le mot cancer martèle, martèle dans mes tempes.
     
    C'est d'une affligeante banalité.
    Capricorne ascendant cancer. Ah ah !
    Je hais la dictature de la pensée.
    Je suis sûre qu'il y a un pourquoi
     et je refuse tous les parce que.
     
    Y a pas de quoi en faire une maladie.
     
    Je refuse de me sentir si fatiguée tout simplement parce qu'on me dit que je suis malade.
    Et pourtant je suis si fatiguée...
    Et pourtant je ne l'étais pas !
    Et pourtant...
     
    Quand je n'ai pas peur, c'est facile d'avoir le moral.
    Une déchirure affective me rend bien plus effondrée
    que mes histoires de santé.
     
    Une touche d'originalité quand même :
    je suis atteinte des deux côtés.
    Tout en même temps comme ça, c'est fait...

     
    C'est quand un radiologue prend RDV pour vous sans vous demander votre avis que l'on mesure la gravité du diagnostic.
     
    Ils s'excusaient de me faire des misères, avec leur mamotome.
    Je leur ai dit que je supposais que ça ne faisait que commencer.
    Ils n'ont rien répondu.
     
    J'avais peur de l'anesthésie.
    Mais au réveil j'étais si fatiguée que j'en ai oublié d'être soulagée.
     
    Même pas mal.
     
    Quand j'oublie d'avoir peur j'ai du mal à y croire.
    Quand j'oublie...
     
    J'ai fait Google.
    J'ai trouvé nodule et micro-calcification.
    Et j'ai effacé l'historique pour que mon fils ne le voie pas.
     
    Maintenant il sait.
    Mais il sait que ce n'est pas si grave que ça.
    Je ne suis tellement pas seule à devoir vivre cette galère.
    Je ne serai tellement pas la seule à m'en sortir.
    Je suis dans les statistiques.
     
    Maintenant me voilà entre les mains du chimio-thérapeute.
    Il m'a promis que je ne serai pas trop fatiguée avec la chimio.
    Il m'a promis aussi que je perdrai mes cheveux.
    La perruque se vend sur ordonnance !
     
    La chimio
     
    ...
    ...

     
    Pas envie d'écrire sur la chimio, elle m'a ôté toutes mes forces.
    C'est un cauchemar.

     
     
    Mais le ballet de cet homme dans sa blouse blanche
    derrière son aquarium stérile...
    Il a l'air de danser avec ses sachets de perf au bout des bras.
    Ses sachets de poison.
    Une enfilade de fauteuils, et nous
    nous attendons notre dose de poison.
     
    Je vois toujours les mêmes visages.
    Je n'ai pas envie de parler avec les autres.
    Juste, cette dame là, elle me plaît.
    Je ne sais pas pourquoi, elle me fait penser à ma mère.
    J'imagine que ma mère avait le même courage,
    le même genre de sourire tout doux,
    le genre qui s'excuse de donner du travail aux infirmières.
     
    J'espère qu'elle est sortie d'affaire.
     
    Et cette mamie, dans la salle d'attente.
    Elle est terriblement laide, elle en est attendrissante.
    Elle est à moitié aveugle, ça donne à son regard une intensité de petite fille perdue.
    Elle est avec son frère, un vieux monsieur très tendre avec elle.
    Ils sont touchants, tous les deux.
     
    Et cette autre mamie qui attend avec sa fille.
    C'est la mère qui est atteinte.
    Sa fille n'arrive pas à cacher son angoisse.
    Mais la mère lui sourit dès qu'elle croise le regard de sa fille.
    Un sourire pour rassurer.

     
     
    Les gens qui se plaignent sont rares.
    Je n'ai pratiquement vu que des gens courageux et dignes.

    Plus c'est grave, plus ils assurent...
     
    Faudrait obliger les râleurs de la vie à faire un tour dans les salles de chimio ou les salles d'attente de cancérologues pour prendre des leçons de courage.
     
    J'ai parfois l'impression d'être un peu gogole, un peu inconsciente. C'est tant mieux ?
    Pourtant je n'arrive pas toujours à tout relativiser, ne pas m'inquiéter pour des petits riens.
    Elaguer les angoisses.
     
    En fait, j'ai toujours eu de la chance.
     
    Je ne vois pas pourquoi ça changerait.
     
     
    La si longue année 2005
    « Je ne sais pas titrer çaLa fête du porc »
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  • Commentaires

    1
    Mardi 30 Septembre 2014 à 07:05

    de très belles phrases, dans ce post ; de très belles réflexions; est-il récent ou date-t-il de 2005 ?  nous dis-tu quelque chose ou évoques-tu juste le début de l'aventure ?

    2
    Mardi 30 Septembre 2014 à 08:36

    Il date de 2005. C'était une sorte de journal intime griffonné sur un petit carnet. Bonjour ma Gudule.

    3
    Mardi 30 Septembre 2014 à 09:08

    Bonjour douce Kô... J'avoue... je n'ai pas pu tout lire. Je me suis arrêtée au mot "chimio"... et j'ai pris ma boîte de Kleenex.


    Bisous très doux la belle...

    4
    Mardi 30 Septembre 2014 à 10:30

    Je m'en suis doutée à la lecture, mais j'avoue avoir eu un doute (d'où ma réponse) je t'embrasse très fort, Méo

    5
    Joëlle
    Mardi 30 Septembre 2014 à 15:14

    Inutile de titrer, en effet. 


    Je l'avais déjà pris en pleine gueule, il me semble. Il ne perd pas une miette de son impact. 

    6
    Java
    Mardi 30 Septembre 2014 à 17:08

    Je mesure combien les mots, ceux ci, ceux que j'écris peuvent paraitre ridiculement petits. On peut écrire "souffrance" ce ne sont que quelques lettres accrochées ensemble, on peut ecrire "avec toi" là aussi ce ne sont que des emplacements de l'alphabet. Et pourtant je ne sais dire autre chose.

    7
    Jeudi 2 Octobre 2014 à 09:23

    c'est vrai que les mots sont pauvres face à une réalité difficile à assumer. Mais ils permettent aussi de rebondir, de relativiser, même de faire de l'humour. Alors, vive eux !

    8
    helene Py
    Jeudi 2 Octobre 2014 à 21:59

    Quand on pense que la chimio, les médecins l'abandonnent parce qu'elle accélérait la multiplication des métastases... tu as bien fait d'écrire ces moments, ils sont devenus intemporels, ils t'ont permis de passer à travers la tourmente. 

    9
    Jeudi 2 Octobre 2014 à 22:04

    @helene Py  : "Les médecins l'abandonnent" ?... Ah, bin faudra me dire depuis quand. Parce qu'en 2014, c'est toujours d'actualité, toujours aussi "costaud" à supporter, et s'accompagne d'une quirielle d'effets secondaires...    

    10
    Jeudi 2 Octobre 2014 à 23:38

    Ça serait trop bien, oui ! Je ne vais pas cracher dans la soupe même si elle était bien amère parce que c'est quand même grâce à ça que je suis encore là mais c'est trop dur. Des proches qui ont eu (ou ont encore) à  subir la chimio l'ont mieux supporté (la supportent mieux) que moi. Courage Anna...

     

    11
    Jeudi 2 Octobre 2014 à 23:50

    Pourtant je n'ai "oublié" aucun effet secondaire... J'aurai pu être une excellente démonstratrice ! Même encore aujourd'hui, avec la version chimio en médoc pendant les 5 prochaines années... ça promet, je n'en suis qu'au début.... :( 

     

     

    12
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 08:50

    le corps médical a en effet de plus en plus recours aux chimios ciblées, qui n'attaquent pas la totalité de l"organisme mais uniquement la tumeur elle-même. Ces traitements, moins ravageurs que la chimio classique sont, en fait, des anticorps spécifiques, qui ont relativement peu d'effets secondaires. Pas de nausées, pas de pertes de cheveux mais éventuellement une fatigue cardiaque et de légers risques d"hemorragies. mais ces traitements, déjà en usage courants aux états-unis n'ont pas encore reçu l'aval des organismes officiels français. Ils sont donc encore considérés comme expérimentaux chez nous.

    En ce qui concerne la chimio par cachets, je l'ai expérimentée pendant un an et elle est d'une très grande violence pour l'organisme (le système digestif en particulier. En fait, on a tendance à appeler "chimio" tout ce qui est censé lutter contre le cancer, mais il s'agit de molécules très différentes, et malheureusement, les oncologues les prescrivent sans donner suffisamment de précisions aux patients quant aux effets pénibles au quotidien.

    13
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 09:05

    @Gudule Oui je confirme que le traitement du cancer en France n'a rien à voir avec les States

    14
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 13:11

    Anna, j'ignore quel sens donner à ce "rien à voir", mais à tout prendre, je préfère mille fois le système français; mon frère, qui est très gravement malade en amérique du nord (il souffre d'un ALS qui n'a été détecté qu'au bout d'un an, du fait de la négligence des médecins), est confronté à une effroyable inertie du corps médical, où le patient n'est tenu au courant de rien, où les médecins sont injoignable, où les examens (IRM et autres, sont effectués avec un retard inacceptable en dépit des recommandations des spécialistes). Personnellement, la rapidité avec laquelle a été détecté et soigné mon gliome, et la prise en charge de cette maladie par la sécu me remplit d'admiration. a tel point que j'aurais souhaité rapatrier mon frère pour le mettre, ici, dans des mains compétentes.

    15
    nidjitt
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 17:16

    et crie!

    uppercut!

     

    16
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 18:35

    tu as raison, nidjitt, je suis très en colère, car plus on traite rapidement cette maladie horrible plus on a de chance d'en retarder les effets. Vu le temps qui lui reste à vivre, un mois ou deux de rab, c'est bon à prendre. Durant plus d'un an, il a plaidé, supplié, appelé à l'aide sans jamais obtenir de résultats, dans une complète indifférence, soit de son généraliste, soit des hôpitaux, soir des spécialistes : neurologue et autres. Et les séances de kiné, qui seules peuvent soulager les contractures musculaires (les effets d'ALS sont les mêmes que ceux de la sclérose en plaque)  sont à la charge du malade. uppercut, comme tu dis !

    17
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 18:45

    C'est terrible ce que tu dis Gudule. Je rage avec toi !

    18
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 19:04

    merci, Méo, c'est quand même ce qui me fait dire qu'on est privilégiés, ici, au niveau médical.

    19
    Pata
    Mardi 24 Mars 2015 à 17:48

    Je suis en stage en oncologie en ce moment...

    Ben tu sais ? A aucun moment je n'ai fait de rapprochement avec toi (ou Gudule) parce que vous représentez trop la vie pour moi !

    Mais je me souviens de ce texte...

    20
    Mardi 7 Avril 2015 à 00:01

    Puis-je partager ce texte?

    Il est tellement "vivant"...!

    Merci!

     

     

     

    21
    Mardi 7 Avril 2015 à 13:44

    Bien sûr Gariguette. Merci pour votre passage.

    22
    Mardi 7 Avril 2015 à 21:06

    Merci!

    23
    Antoine (AdR)
    Samedi 5 Septembre 2015 à 00:38

    Touché par ton texte et le dialogue qui le suit. C'est très difficile de partager une expérience telle que celle-là. Impressionné aussi par "le courage et la dignité" de celles qui attendent.

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