• Isthar - 3

    Jorge et Ma cão
     

    Jorge avait 21 ans. Il venait du Portugal.
    Boucles noires jusqu'aux épaules, une gueule d'ange, une allure de Christ.
    Lui n'habitait pas le bord du monde, mais le toit.
    Il fallait grimper, grimper pendant une heure par un sentier muletier entre les chênes verts et les genévriers pour arriver à sa ferme.
    Il avait un élevage de chèvres et vendait au marché. Deux fois par semaine, il descendait à 3 h du matin ses cagettes de fromages à dos d'âne, jusqu'à la route où il garait sa voiture. Une grange avec un râtelier de foin abritait l'âne qui attendait là son retour, pour remonter les provisions et les cagettes vides.
    Jorge avait plusieurs chiens, je ne me souviens pas du nombre exact. Cela allait du teckel au pur bâtard en passant par un couple de briards noirs.
    La femelle avait mis bas et Jorge nous avait réservé un chiot.
    Nous sommes allés le chercher.
    Ma cão - c'était le nom du mâle briard - était un chien extraordinaire. Une merveille de le voir travailler.
    Ce soir-là, avant la traite,  le troupeau de Jorge s'était scindé en deux. Les chèvres étaient rentrées en trottant à la bergerie dans un bruit de joyeuses sonnailles mais une quinzaine de bêtes était restée à l'arrière. Par chance elles étaient visibles, sur la montagne en face, taches mouvantes dans la garrigue.
    D'un sifflement et d'un geste, Jorge envoya Ma cão, le guidant au sifflet et à la voix. Nous pouvions voir le chien courir dans le chemin, en contre-bas des retardataires.
    Lorsqu'il arriva au niveau du troupeau (il ne pouvait pas les voir au-dessus de lui), notre ami cria : Stop ! Derrière toi, en face !
    Ma cão stoppa net, fit volte-face et grimpa comme une flèche à la rencontre des chèvres. Et les ramena jusqu'à la bergerie, bien sûr.
    J'étais épatée.
              - Mais comment il a compris ça ? En face, c'est abstrait, non ?
             - Pour le dressage, tu dois au départ faire le boulot toi-même, me disait Jorge. Tu siffles, tu fais un geste du bras dans la direction que tu veux donner et tu donnes ton ordre en le faisant toi-même.
    Tu dis passe derrière, tu passes derrière les chèvres. Tu dis passe devant, tu passes devant. Rentre-les, tu les rentres. Il faut évidemment que tu habitues le chien à te suivre. Au bout d'un moment, il va démarrer tout seul, tu n'auras plus qu'à le laisser faire.
     
    Le chiot était dans mes bras et je portais tout mon espoir dans cette boule de poils. Il avait encore un pelage de bébé, pas encore long, pas encore rêche. C'était une douceur de laine noire et frisottante.
           - Quand j'étais dans le Var, je devais faire passer les chèvres sur une route entre deux champs de poireaux. Grâce à Ma cão, elles n'en ont jamais touché un seul.
    Mon espoir me mordillait les mains en se trémoussant.
             - J'ai un problème, je ne sais pas siffler...
    (A suivre)
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  • Commentaires

    1
    Antoine(AdR)
    Dimanche 21 Février 2016 à 23:06

    C'est beau de voir un chien de berger travailler, et tu le racontes très bien, de façon très vivante, on voit la scène comme si on y était.

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