• Isthar - 2

    La chèvre et le chou
     
    Le confort était plus que sommaire. 35 m2 de partie habitable. Deux granges attenantes étaient en bon état. Le reste était à retaper. L'hiver surtout était difficile à vivre. L'eau gelée dans les tuyaux à l'air libre. Pas d'isolation, le poêle et la cheminée chauffaient les étoiles.
    Mais quelle beauté, le bord du monde.
    Le seul voisinage que nous avions était une immense ferme au-dessus, occupée par le vieux Louis.
    A la réflexion, il ne devait pas être si âgé que ça, mais une personne de soixante ans paraît un vieillard quand on en a dix-neuf.
    Il avait une bonne soixantaine de chèvres qu'il envoyait paître sur l'autre versant de la montagne et labourait encore ses oliviers avec une paire de bœufs.
    Il avait une vue plongeante sur la maison, nos cultures en contre-bas et nos terrasses d'oliviers sur lesquelles je gardais mon troupeau.
    Car nous avions aussi des chèvres. Chèvres, mes amours, ma joie, mes nerfs. Sales bêtes.
    A garder entre les terres de Louis qui n'étaient pas clôturées et nos champs de légumes qui ne l'étaient pas non plus...

    Aparté
    Question : Peut-on avoir des bêtes ET des légumes en même temps, à deux et en n'étant pas équipé pour clôturer ou l'un ou l'autre ?
    Réponse : Non, mais nous oui... Seules les poules étaient dans un enclos grillagé.
    Question : Et vous y arriviez financièrement ?
    Réponse : Pas du tout.
    D'autant que nous n'avions même pas de fromagerie. Nous faisions quelques fromages pour notre consommation personnelle, faisselles égouttées au-dessus de la baignoire...
     
    Je suis sûre que Louis matait aux jumelles et se distrayait de mes déboires.
    Il devait s'amuser de mes cris - moi qui ne sais pas crier - et des moulinades que je faisais avec mes bras pour chasser mes bestiaux de mes poireaux.
    De temps en temps, il venait discuter. Je crois qu'il m'aimait bien.
    Il me prodiguait des conseils que je n'écoutais pas toujours.
    Comme celui de ne pas garder des chevrettes élevées au biberon, par exemple.
             - Celle-là faut pas la mettre dans le troupeau. Faut s'en débarrasser.
    Il me désignait ma petite Cartouche qui tétait goulument le litron de lait au bout duquel était fichée une tétine.
    Ma Cartouche adorée dont la mère était morte pendant la mise-bas. Elle était jolie comme tout avec sa robe beige, ses chaussettes noires et son œil au beurre blanc.
             - Elle va être testarde, une vraie saloperie.
    Une saloperie ma Cartouche ? Qui me suivait partout puisqu'elle me prenait pour sa mère ? Qui accourait quand je l'appelais par son nom, en faisant des cabrioles ? Qui dormait dans un carton près du poêle à bois et venait me réveiller le matin en me broutant les cheveux ?
    Il n'avait pas tort...
    En grandissant elle devint la meneuse du troupeau.
    C'était la première à piquer un sprint dans le jardin en entraînant une dizaine de ses comparses.
    Ou bien à partir dans les barres rocheuses, juste dessous le bord du monde...
    Il fallait alors descendre les chercher, elle et sa cour, toujours les mêmes. Un jour j'ai failli rester coincée dans l'à-pic. Je ne savais plus où avancer le pas, il n'y avait plus de chemin. Un précipice béant s'ouvrait sous mes pieds. Je suis restée tétanisée là plus d'une heure, plus d'un siècle.
    Mon compagnon est venu me chercher.
    Pendant ce temps Cartouche était rentrée à la bergerie. Saloperie.
    Louis de chez lui, me regardait ainsi garder mon troupeau, tous les jours. Il me voyait courir pour barrer le passage aux chèvres, elles en profitaient pour bifurquer dans les choux et les salades.
    De me savoir observée décuplait ma rage.
    Il avait quand même la délicatesse de ne pas en rajouter. Il ne faisait pas de commentaire  je vous l'avais bien dit. Il se fendait juste d'un sourire à l'ironie bienveillante.
    Il nous fallait un chien. Un vrai chien de berger. Et nous savions où le trouver.

           (A suivre)
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  • Commentaires

    1
    Pata
    Samedi 20 Février 2016 à 00:34
    Tiens... Elle ne m'est pas inconnue cette Cartouche (forcément) explosive... J'ai du la lire dans un autre chez toi ! Mais je ne me souviens plus de ses chévreries... Donc à suivre car si chèvrerie, sa maitresse ne le fait pas forcément :)
    2
    Samedi 20 Février 2016 à 07:43

    Bonjour ma chère Pata, contente de te lire dans mes pages :-)

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