• Le bracelet - 1

    Ce n'est pas grave de perdre un bracelet. Il nous reste le papier.

     

    Ce n'est pas grave, même s'il est en argent. Même si c'est un souvenir d'Afrique. Même s'il a une valeur affective.

         - Ce n'est que du matériel, maman, dit Kin.

    Il dit ça mais je vois bien qu'il en a gros sur le cœur. Il dit ça pour me rassurer, moi qui viens de perdre beaucoup plus.

         - Mais tu l'as déjà perdu et tu l'as retrouvé, cherche bien.

     

    Deux mois auparavant, mon fils m'avait téléphoné, angoissé.

         - Maman j'ai perdu mon bracelet, regarde s'il n'est pas sur ma table.

     

    Vous savez comment c'est une chambre d'ado ? C'est le foutoir.

    Une empilade de bouquins, de DVD, des multi-prises partout pour brancher le pc, la play-station, les enceintes, la table de mixage. Des paquets de clopes vides, le cendrier posé sur les papiers importants, des marqueurs à taguer. J'avais regardé et n'avais rien trouvé. Lui si, en rentrant. Le bijou était sous le dernier relevé bancaire, entre le cendrier et la boîte de cookies entamée.

     

         - Nan c'est mort, je sais que je ne l'ai plus. Ce coup-ci il est perdu pour de bon. Mais c'est pas grave, je te dis.

    En temps normal, il aurait râlé tant et plus, shooté dans la paire de baskets de son coloc qui encombre l'entrée de la chambre (les baskets, pas le coloc), proféré des jurons au kilomètres j'suis dégoûté, putain merde, fait chier !

    Mais nous ne sommes pas en temps normal. Mon deuil nous fait inverser les rôles, c'est lui qui me console de son chagrin.

    Ce bracelet, il l'a depuis l'âge de deux ans. Mais oui, un bracelet de bébé. Qu'il arrivait à porter à son poignet d'adulescent parce que c'est un bracelet ouvert. Ecarté un max. Si écarté qu'il aura fini par tomber dans la rue, dans le bus, dans la ville.

    Un arc fin avec les trois lettres de son nom ciselées dessus : KIN

    Outre le fait qu'il ait été fabriqué exclusivement pour lui, il lui avait été offert par Solange, c'était un cadeau de départ.

    A vrai dire, il ne se souvient pas de Solange, il était bien trop petit lorsque nous avons quitté Niamey. Mais nous avons pris soin d'entretenir pour lui (et pour nous !) le souvenir que nous gardons de cette nounou/femme de ménage hors compétition.

    Elle avait 25 ans. Elle était togolaise et vivait au Niger avec son mari depuis cinq ans. Il a vu quelques photos d'elle : belle avec ses petites tresses et son collier si blanc sur sa peau si noire. Et lui si beau, enfoui dans le pagne qu'elle portait pour le caler contre son dos.

    Solange, c'était d'abord un rire. Une joie de vivre à cent à l'heure. Toujours enthousiaste, toujours emplie de compassion aussi pour les malheurs d'autrui. Qu'est-ce que c'est que c'est beau et C'est pitié étaient ses deux expressions favorites. Elle était devenue ma confidente et vice versa. Bonne à tout faire - même et surtout le beau temps de la maison. Sauf le jour de notre départ, elle a fait la pluie.

     

    19 mai 2014

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