• Des racines et du ciel

    On m'a dit : Votre problème, c'est ça, vous manquez de racines.
    Pour être bien dans votre vie, vous devez prendre racine. Enracinez-vous.
    Imaginez que vous êtes un arbre.
    Imaginez que vos pieds pénètrent dans le sol. Qu'il en sort des racines qui s'enfoncent profondément dans la terre. Vous allez sentir que vous basculez en avant.
    Imaginez alors qu'un fil invisible vous tire le sommet du crâne vers le plafond.
    Vous avez des branches qui poussent de votre tête et s'élèvent haut, très haut, jusqu'à toucher le ciel.
    Vous vous sentirez basculer en arrière.
    Alors j'ai essayé.
    Les pieds bien à plat, je me suis enfoncée dans le carrelage. C'est d'autant plus méritoire que le carrelage est froid, j'ai les pieds gelés.
    N'ayant pas de tapis, j'ai plié une serviette de bain par terre et j'ai recommencé.
    J'ai pensé que je devenais lourde, très lourde. Si lourde, que mes pieds passaient à travers la serviette, les carreaux, le béton. Il ne doit pas y avoir de vide sanitaire là-dessous, sinon je n'aurais pas si froid aux pieds.
    Je dis Tais-toi à la voix dans ma tête et je me reconcentre.
    Mes pieds sont lourds, donc.
    Ils crèvent le béton, je m'enfonce, je m'enfonce. Le froid enserre mes chevilles maintenant.
    Je ramasse ma serviette et déménage dans la chambre inoccupée de mon fils où le sol n'est pas carrelé mais en parquet flottant.
    C'est par là que j'aurais dû commencer, c'est nettement moins froid.
    Je m'enfonce, donc.
    Des racines commencent à me pousser aux orteils, à la plante des pieds.
    Elles traversent le plancher, fouissent dans la terre (il doit bien y avoir un peu de terre tout là-bas dessous, non ?) et je sens que je bascule en avant.
    J'imagine alors que des branches me sortent de la tête et me tirent vers le haut.
    Là, c'est plus facile. Je grandis, je grandis, je ne vais pas tarder à toucher le plafond.
    Quel arbre suis-je ? Un flamboyant, ça me plairait bien mais les branches s'étalent à l'horizontale.
    Au fait, qu'est-ce que je fais de mes mains ?
    Je les lève à mi-hauteur, ça fait plus branches.
    C'est pas bien un flamboyant ? Plus tard, un flamboyant. Quand tu sauras devenir un arbre bien enraciné en 5 minutes. Parce que pousser à l'horizontale avec le temps que tu mets, tu n'es pas près de toucher le ciel.
    Un arbre qui monte au ciel tout direct, je vois un cyprès. Zut, j'aime pas. Ça fait cimetière.
    Je veux bien prendre racines mais pas m'enterrer.
    Bon alors j'opte pour un chêne. C'est un arbre que je connais bien, je le visualise parfaitement.
    Je grandis, donc.
    Les branches percent le plafond. Un plafond, deux plafonds, trois plafonds...
    Heureusement pour les racines je suis au rez-de-chaussée.
    … percent le plafond, donc.
    Je touche le ciel maintenant. L'horizon est sans limites et je respire. Il me semble être en terrain connu.
    Je sens que je bascule en arrière. Pour rétablir l'équilibre je reviens à mes pieds. J'ai les racines qui pff...
    Rien à faire.
    J'ai bien les pensées qui voguent dans l'océan ciel où les nuages moutonnent mais le problème c'est Est-ce que j'ai vraiment envie de m'enraciner là ?
    Sur ce parquet flottant j'ai des racines flottantes qui ne veulent pas s'ancrer.

    Il faudrait bien qu'un jour je puisse prendre racine. Prendre racine comme on prend un époux :
    il faudrait bien qu'un jour j'épouse ma vie. De plain-pied, sans basculer en arrière.

    27 novembre 2014


    « Le poème emportéUne île »
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  • Commentaires

    1
    Thom
    Mardi 2 Décembre 2014 à 03:16

    Bonsoir, je passe la nuit avec vos textes.


    "Des racines et du ciel" est un très beau texte.


    Mais que se passe-t-il quand tout à la joie d'être enraciné (e) on ne s'aperçoit pas que la terre se délite autour des racines ?


    J'avais retrouvé mon père ainsi dans son village, en apesanteur, racines à nue, délavées... Je l'avais emporté en ville...


    Amicalement.

    2
    Mardi 2 Décembre 2014 à 10:38

    On se transplante ailleurs comme on peut. Reste à savoir si les racines prennent... ou pas.

    Merci pour votre lecture.

    3
    Thom
    Mardi 2 Décembre 2014 à 19:31

    Mon père était venu vivre avec nous à La Nouvelle-Orléans.

    Il avait vite pris ses habitudes dans un bar cajun, où le bistrotier et des clients comprenaient son patois picard...

    Je ne suis plus du tout sûr qu'il y ait un ailleurs... On peut tout de même gagner du temps, si besoin est.

    Aussi, vous "parlez" bien des ados. J'ai envoyé quelques textes à ma petite fille qui vient de fêter ses 15 ans dans l'incertitude. 

    4
    Mercredi 3 Décembre 2014 à 09:53

    "D'ailleurs, je suis d'ici où je vis..."

    5
    Mercredi 3 Décembre 2014 à 09:54

    Pour les ados, je n'ai fait que rapporter leurs dires :-)

    6
    Vendredi 12 Décembre 2014 à 16:02

    Il faut s'enraciner au ciel ;-) Merci pour tes passages chez moi Kô, ça me fait toujours très plaisir, comme j'ai toujours plaisir à te lire !

    Par contre, pas pu te laisser un comm sous ton poème "Le rêve" ... Et pourtant, quel rêve... Et d'ailleurs, c'est vrai que les rêves, c'est la réalité !

    7
    Vendredi 12 Décembre 2014 à 17:31

    Il doit y avoir une sorte de bug sous le rêve, tu n'es pas la première personne à vouloir y mettre un commentaire "qui ne prend pas".

    Merci pour le plaisir de te lire chez toi comme chez moi, Elly :-)

     

    8
    Janpih
    Lundi 23 Février 2015 à 23:06

    Mon nom, en basque, signifie le faîte du chêne...

    9
    Lundi 23 Février 2015 à 23:40

    Alors c'est un beau nom yes

    Merci d'être venu.

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