• Boubou - 1

    Avec le vent du nord écoutez le claquer le haut pays qui est le mien
     
     
    Il souffle un mistral bleu. Violent, impétueux. 
    C'est un dimanche comme les autres, besogneux.
    Nous arrachons les derniers poireaux de la saison et tanguons sous les rafales.
    Ils sont durs à extraire, pris dans la terre comme dans une gangue compacte. En ce premier dimanche de juin ça fait longtemps qu'il ne gèle plus mais moi oui, je me gèle.
    Nous fourchons bêchons toute une rangée de poireaux, nous secouons leurs racines pour en détacher les mottes glaiseuses, les déshabillons de la première feuille jaunie avant de les empiler dans des cagettes.
    Et recommençons à la rangée suivante. Plus tard lorsqu'ils seront tous cueillis et remontés avec le tracteur, il faudra les nettoyer dans une brouette emplie d'eau, égaliser le tout à coups de ciseaux, en bas en haut, et en faire des bottes.
    Ils seront alors prêts à vendre.
    En attendant, je lutte avec le sol tassé, arcboutée à la fourche bêche. Je lutte contre le vent qui bat. Il bat comme une porte qui claque ! Entre deux WOOUU, il bat, c'est étonnant.
    Nous avons hâte de finir notre travail avant la nuit. Le soleil a déjà plongé derrière la montagne en face et l'ombre est glaciale. C'est un dimanche comme les autres mais c'est un drôle de juin froid.
    Ce vent est fou, il bat. Il me semble bien entendre claquer la porte BANG tout là-haut, à la maison. Sauf qu'une porte qui claque, ça ne claque qu'une fois, normalement. Une fois qu'elle est fermée, elle ne se rouvre pas toute seule ? Je tends l'oreille, avec le WOOUU du mistral, ce n'est pas facile. Et BANG encore et encore !
    Mais qu'est-ce que c'est !?
    Tiens d'ailleurs, il est où ?
    Il c'est Kin, notre fils. Depuis combien de temps est-il remonté ? Je ne l'ai pas vu partir. Il est vrai qu'il est habitué à faire des allers-retours entre les champs et la maison.
    Il est vrai qu'il grandit et fait moins de bêtises qu'avant.
    Ça fait longtemps qu'il marche sagement le long du chemin et ne prend plus le raccourci droit dans les ruches. Il avait deux ans. Je courais en le portant sous un bras tout en lui tapant sur la tête pour tuer les abeilles accrochées à ses cheveux, puis je l'avais arrosé de vinaigre (la bouteille entière) en attendant les pompiers.
    A deux ans et demi, il s'était sauvé sur la route pour aller - disait-il -  boire un coup chez Christelle (qui tient le bistrot du village à 2 km de là).
    A trois ans, il faisait des shampooings aux œufs (frais avec la coquille) à la chienne.
    A quatre ans, il avait versé du liquide vaisselle dans le pot de miel. Même couleur, même fluidité, j'en avais recraché ma tartine.
    Certes, ça fait longtemps. Depuis qu'il va à l'école, il s'est assagi. Mais de quoi peut-il être capable à cinq ans ?
    Je laisse tout en plan : mon compagnon, la fourche bêche, les poireaux et le travail à finir.
    Je prends le chemin qui monte à la maison (pff ça grimpe) et plus j'avance, plus je cours.
    Parce que j'entends ce BANG BANG effrayant et j'entends hurler maintenant. Il n'y a pas que le vent qui fait WOOUU.
    J'arrive à la maison et je le vois, mon petit qui hurle.
    Je le vois à travers la vitre de la porte.
    C'est une belle porte à double vitrage, en deux parties. Une barre en aluminium au milieu. Lorsque nous avons retapé la ferme et que nous en avons rêvé, les copains ont trouvé l'idée incongrue. Une porte en verre dans une maison toute en pierres ? Ça va faire anachronique. Et puis nous avons pendu la crémaillère dans cette maison où il restait encore beaucoup à faire et un ami est arrivé avec La Porte.
    Cadeau !
    Il a fallu agrandir l'embrasure parce que la porte de grange d'origine, aux planches disjointes et vermoulues, était plus basse et plus étroite.
    Magnifique, on disait.
    On se croirait au Crédit agricole, riaient les copains.
    L'un d'eux a scotché un papier où il était écrit : Du lundi au vendredi de 9 h à 12 h et de 14 h à 17 h.
    L'affichette est restée longtemps.
     
     
    (A suivre )
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  • Commentaires

    1
    Pyrène
    Dimanche 13 Décembre 2015 à 08:46

    Toujours régalante cette tranche de vie !

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